L'entreprise de construction mécanique O. Meyer &t Cie à Soleure
Si l'histoire des grands constructeurs de machines hydrauliques en Suisse est généralement bien documentée18, celle de l'entreprise familiale Meyer l'est assurément moins. Ayant livré la majorité des moteurs hydrauliques installés dans le bassin de la Suze, il m'a semblé intéressant d'esquisser l'histoire de cette entreprise soleuroise qui a par ailleurs équipé des centaines d'autres chutes dans les cantons de Soleure, Berne et Argovie, et aussi bien des moulins de Suisse romande.
En 1870,Josef Meyer (1838-1911), l'aîné d'une famille paysanne de cinq enfants, fonde une entreprise de construction de moulins et de roues hydrauliques à Derendingen, village proche de Soleure. Il avait appris le métier auprès de son oncle installé à Bellach. Après son apprentissage, il séjourne un temps à Bâle où il s'initie à la mécanique, puis, pendant six ans, travaille à Paris avant de rentrer au pays et de s'associer à son oncle. Ensemble, ils construisent leurs premières turbines tout en poursuivant la fabrication de roues traditionnelles. En 1870, avec l'ouverture de l'atelier de Derendingen, la production prend une nouvelle dimension, mais sans que la fabrication des moteurs hydrauliques ne devienne leur première spécialité; ils restent avant tout constructeurs de moulins.
En 1892, l'entreprise déménage à Soleure. Près de 80 ouvriers y travaillent; 10% du travail concerne la fabrication de moteurs hydrauliques. Jusque vers 1894, les Meyer construiront 65 turbines. Insensiblement, leur puissance nominale augmentera: on passe ainsi d'une moyenne de 7,5 CV pour les turbines produites de 1865 à 1874, à une puissance quasi doublée vers 1880. En 1899, les Meyer construisent leur première turbine Girard, puis une Francis en 1910, une Pelton en 1915.
En 1914, l'entreprise décide de participer à l'Exposition nationale de Berne. Elle y figure en tant que constructeurs de turbines aux côtés de sept grandes entreprises, la plupart mondialement connues. A cette date, la fabrication des turbines représente 20% de leur chiffre d'affaires. Pendant la Première Guerre mondiale, ce sont près de 80 turbines qui sortent de leurs ateliers. Dans la décennie suivante, on y produira des moteurs qui fourniront jusqu'à 145 CV.
L'usine demeure néanmoins une entreprise familiale qui écoule sa production dans le voisinage immédiat, de la campagne soleuroise à l'Oberaargau bernois, avec une poussée sensible vers la Suisse romande.
En 1900, Joseph Meyer, fondateur de l'entreprise, fête ses 62 ans. Ses trois fils s'intéressent peu à peu à la marche de l'entreprise. Otto (1878-1958), ingénieur ETH, est en train de parfaire sa formation auprès de constructeurs de moulins en France, puis séjourne dans l'empire austro-hongrois. Il s'occupera de la vente. Emil (1882-1966) se consacrera à la meunerie, après des études à Berlin. Enfin Charles (1887-1968), futur ingénieur, se spécialisera à la fois dans le domaine des turbines et dans celui de la meunerie. Vers 1910-1911, les jeunes Meyer mettent au point un tamis auto-balanceur (Plansichter) qui les fera connaître de toute l'Europe, selon Ernst Meyer, A cette date, la maison prend le nom de O. Meyer & Cie.
Dès le milieu des années 1930, l'entreprise se spécialise dans les petits et moyens moulins, qu'elle automatise entièrement, ceux de Cousset, de Rivaz, d'Orbe et de Cossonay, par exemple.
Sur la Suze aussi, plusieurs usiniers font appel aux services de l'entreprise Meyer. En 1867, le meunier-scieur J. Renfer, de Boujean, installe une roue traditionnelle construite à Soleure. Renfer restera fidèle à l'entreprise Meyer, qui lui livrera quatre turbines entre 1877 et 1928. A Bienne, trois roues Meyer vont équiper le moulin de la Ville lorsque les meuniers Moser le rénoveront en 1874, puis en 1883. De nouvelles machines de meunerie y seront installées en 1917, en 1925 et en 1934. Les Soleurois livreront également plusieurs machines de meunerie pour le moulin Schenk, à Mâche, ainsi que trois turbines, entre 1895 et 1924. Ils équiperont encore le moulin Jeanguenin à Courtelary en 1941.
Des industriels feront également confiance aux frères Meyer pour s'équiper de turbines : c'est le cas des Juillard à Cortébert, d'Emile Walliser et de Georges-Henri Liengme à Cormoret. Après la Seconde Guerre mondiale, ils équiperont encore la Société Industrielle Sonceboz SA d'une turbine Francis horizontale en 1945 ; ils installeront une Kaplan verticale à la nouvelle centrale hydroélectrique de Corgémont (FHF, devenue ETA) en 1949; puis une Kaplan horizontale à VUsine de produits alimentaires du Torrent, Cormoret en 1960. Au début des années 1970, l'entreprise connaît de graves difficultés financières et passe aux mains de Brown Boveri Se Cie (aujourd'hui Asea Brown Boveri).